Ivoire : le commerce à tout prix ?

15 Août 2016



Ces dernières années, la menace qui pèse sur les éléphants et rhinocéros d’Afrique ne cesse d’augmenter. Pour cause, la forte demande d’ivoire et de corne provenant notamment des pays asiatiques. Même si la Convention de Washington de 1989 interdit formellement le commerce de l’ivoire, tous les pays du globe ne respectent pas leur engagement.


Crédits : Muriel Epailly
Crédits : Muriel Epailly
De 1980 à nos jours, l’éléphant d’Afrique a perdu 61 % de sa population. Au rythme alarmant d’un individu tué toutes les 15 minutes, la mortalité des éléphants est actuellement supérieure à leur natalité. Il ne resterait aujourd’hui plus que 500 000 éléphants en Afrique, il y a 35 ans ils étaient 1,2 million. Si le commerce de l’ivoire est formellement interdit depuis 1989, tous les pays du globe ne respectent pas leur engagement. Le Japon et la Chine particulièrement mais aussi la Thaïlande, entre autres. Dans ces pays, les contrôles du commerce de l’ivoire très laxistes et le manque de réglementations facilitent la vente en ligne de l’ivoire et stimulent le braconnage. Le groupe de défense de l’environnement, Human Society International a plusieurs fois affirmé que les contrôles d’ivoire au Japon sont très souvent truqués et que d’importantes quantités d’ivoire sont alors mises sur le marché national bien que cela soit illégal.

Le banc des accusés

C’est par les ports que l’ivoire quitte des pays d’Afrique comme le Kenya ou la Tanzanie pour la Chine, le Japon ou la Thaïlande. A son arrivée, l’ivoire est découpé et transformé en bijoux, en sculptures ou en figurines d’arts très prisées par les Asiatiques. Les hankos , petits sceaux personnels utilisés comme signature, font partie des objets les plus demandés, au Japon surtout. Selon l’EIA (Environmental investigation agency), 87 % des hankos du monde seraient faits d’ivoire illégal.   
 

Au cœur de la polémique sur la menace d’extinction des éléphants et le commerce d’ivoire en ligne, l’entreprise Yahoo Japan est fortement pointée du doigt par les organisations de protection de l’environnement et par la société civile en général. Pour cause, la vente d’ivoire rapporte gros à Yahoo : plus de deux millions de dollars en 2010 et plus sept millions de dollars en 2014. Selon une enquête de l’EIA, plus de douze tonnes d’ivoire ont été vendus par Yahoo Japan. Le site met notamment en ventes aux enchères les hankos ainsi que beaucoup d’autres produits contenant de l’ivoire. Le portail promeut également ce commerce illégal en affichant de nombreuses publicités incitant l’achat de l’ivoire. Sur le site de vente aux enchères, un bijou peut aller de 20 à 60 000 dollars.

Aujourd’hui, Yahoo Japan est un des seuls grands sites en ligne permettant la vente d’ivoire. D’autres géants de la vente en ligne tel que Amazon ou Google ont déjà interdit de manière catégorique la vente de ces produits illégaux. La filiale japonaise se trouve aujourd’hui particulièrement affaiblie notamment par une pétition lancée au début de l’année critiquant son activité et ayant reçu plus d’un million quatre cents mille signatures. Yahoo et Softbank, les plus grands actionnaires de Yahoo Japan (35,5 % et 36 %), contribuent à définir la politique commerciale de la succursale et sont fortement appelés à agir. Si Yahoo s’est brièvement prononcé sans faire de promesses concrètes après la pétition, Softbank s’est pour l’instant abstenu de tout commentaire.

Un hanko, petit tampon utilisé comme signature, au Japon notamment. Crédits : Flickr / Shota et Rota
Un hanko, petit tampon utilisé comme signature, au Japon notamment. Crédits : Flickr / Shota et Rota
Proche du Japon, un second pays est sévèrement pointé du doigt comme coupable de l’extinction des éléphants et rhinocéros d’Afrique. La Chine est le premier importateur d’ivoire illégal et le premier centre de transformation dans le monde avec 37 usines de transformation sur son sol national. Bien que le pays ait récemment durci sa législation, il autorise toutefois la vente d’ivoire acheté avant 1989 ce qui favorise la revente clandestine des trafiquants. Le commerce légal autorisé par les autorités chinoises contribue à couvrir l’illégal et à propager l’épidémie.

Un funeste commerce

La convention de Washington de 1989 n’a donc pas suffi à stopper ce commerce illégal et depuis ces dernières années, la situation est plus qu’inquiétante. Selon une étude réalisée par l’université de Washington en 2013, 50 000 éléphants d’Afrique sont tués chaque année, soit un sixième de leur population totale. Ces géants de la nature pourraient même venir à disparaitre d’ici une à deux décennies. Les rhinocéros ne se portent guère mieux puisqu’ils étaient 100 000 il y a 50 ans et qu'aujourd’hui ils ne sont plus que 25 000, dont à peine plus de 5 000 rhinocéros noirs, très sérieusement menacés.

Au-delà du risque grandissant d’extinction de l’espèce, le braconnage a des conséquences tragiques pour les éléphants qui ont une intelligence émotionnelle telle qu’ils comprennent l’horreur de ce qui leurs arrivent et ressentent l’effroi quand leurs pairs se font tuer sous leurs yeux. Les éléphants réagissent de manière inédite à ces massacres et sont contraints de modifier leurs cycles de vie. Alors qu’ils se déplacent normalement le jour, des experts, observateurs sur le terrain affirment que depuis plusieurs années, les hardes se déplacent désormais plus souvent la nuit pour éviter les chasseurs. Les hardes sont aussi de plus en plus imposantes et peuvent atteindre 550 individus.

Les matriarches sont les premières victimes du braconnage puisque leurs défenses sont plus grosses. Chez les éléphants, ce sont les femelles qui guident les hardes et qui détiennent le savoir indispensable au groupe. Elles connaissent les routes migratoires, le rythme des saisons ainsi que les endroits où trouver de l’eau et de la végétation. Avec le massacre croissant des femelles, les jeunes éléphantes doivent reprendre la succession plus tôt et mener la harde. Cet héritage accéléré cause des problèmes puisque les jeunes femelles sont initiées mais pas toujours capables de reconnaitre les routes de migration, les points d’eau ou encore les manières de se défendre, ce qui peut fortement porter atteinte à la survie du groupe.

Crédits : Flickr /  Jean-Marc Descamps
Crédits : Flickr / Jean-Marc Descamps
En avril 2016, le président kenyan, Uhuru Kenyatta et son homologue gabonais, Ali Bongo, lancent un message d’espoir en procédant à la plus grande incinération  d’ivoire jamais vue. Dix pyramides d’ivoire de plus de trois mètres de haut chacune et composées uniquement de défense d’éléphants ont été incendiées ainsi qu’une pyramide de corne de rhinocéros. Environ 16 000 défenses ont été brulées correspondant à 8 000 éléphants morts. En tout, 105 tonnes d’ivoire ont été détruites, cela représentait 5 % du stock mondial d’ivoire. Le président Uhuru Kenyatta a déclaré lors de l’incinération que le commerce d’ivoire provoque la mort des éléphants et donc la mort du patrimoine culturel des pays d’Afrique.

Une Europe impliquée ?

Pour l’instant, l’Union européenne interdit totalement le commerce de l’ivoire en Europe mais cela pourrait changer très prochainement. Des débats se tiennent en ce moment même à Bruxelles sur l’ouverture d’un marché légal et ouvert pour certains pays comme l’Afrique du sud, la Namibie, le Botswana ou encore le Zimbabwe. L’argument mis en avant pour justifier l’adoption d’une telle mesure est que les profits tirés de ce commerce pourraient aider à financer la protection et la promotion de la conservation des éléphants.

Mais à ce jour, la société civile internationale a du mal à croire aux prétendus bienfaits de l’ouverture d’un marché légal et ne peut s’empêcher de comparer cette mesure avec celle de 2008 qui s’était avérée plutôt désastreuse. En effet, il y a huit ans, un marché avait été mis en place dans l’idée que si on mettait l’ivoire des éléphants morts sur le marché, cela ferait baisser le prix de l’ivoire et découragerait les braconniers qui abandonneraient petit à petit le massacre des éléphants. Or, l’inverse s’était produit avec à la place une augmentation brute et significative du braconnage et dans un espace plus étendu.

Ce projet d’ouverture du marché est donc pour beaucoup totalement incompréhensible d’autant que tous les membres de l’Union européenne font partie de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacée d’extinction. Vingt neuf pays africains se sont déjà réunis autour de la Coalition africaine des éléphants afin d’empêcher cette mesure qui, selon eux, pourrait provoquer l’extinction inévitable de l’espèce à l’état sauvage.

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Justine Rodier
Etudiante en licence de Science Politique, j'ai toujours été curieuse de découvertes, ce qui me... En savoir plus sur cet auteur